Ne sacrifions par les créateurs sur l’autel de la compétitivité !
Plus qu’une déception, un aveu d’échec. La charte sur le droit d’auteur est détachée de la déclaration finale du sommet sur l’intelligence artificielle. La législation européenne doit être une boussole !
NOTES DE BLOG
2/11/20255 min lire


Le soutien de la puissance publique, française et européenne, à l’innovation est au cœur du sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle (IA), qui se déroule en ce moment à Paris. Véritable révolution technologique, l’IA est pourvoyeuse d’opportunités et de progrès incontestables. Mais derrière cette technologie, se cachent aussi des menaces concrètes pour le monde de la culture qui appellent une prise de conscience urgente à l’échelle européenne et internationale.
L’intelligence artificielle n’est pas nouvelle, elle imprègne nos sociétés depuis plusieurs décennies déjà. La véritable nouveauté, bouleversement incontestable, réside dans l’intelligence artificielle dite générative, capable de produire de nouveaux contenus artistiques, littéraires, audiovisuels, après s’être “entraînée” sur des contenus existants.
Cet entraînement suppose d’utiliser massivement les œuvres et contenus pour les copier en profitant des failles de la législation européenne. De nombreux modèles d’IA pillent ainsi les créations des artistes et des auteurs pour constituer d’immenses bases de données, souvent opaques. Au-delà de cette appropriation problématique, se pose également la question des algorithmes de recommandation, qui influencent la découvrabilité des œuvres, renforcent les bulles cognitives et standardisent les goûts culturels au détriment de la diversité.
L’IA générative, telle que nous la connaissons actuellement, dérégulée, et dominée par des intérêts privés, représente un danger pour les droits des auteurs, des artistes, leur juste rémunération et, par extension, pour la création et la diversité culturelle.
Nous ne sommes pas opposés à l’innovation, au progrès technologique ou à la compétitivité, comme certains voudraient le faire croire. Nous défendons une société qui protège ses artistes et auteurs, qui garantit leur liberté de création et d’expression et qui veille à préserver la richesse de notre patrimoine culturel. Cette liberté passe par des droits garantis pour les créateurs, une rémunération juste et des évolutions sociales à anticiper et à accompagner.
Le modèle du droit d'auteur français, né au XIXe siècle, est une richesse qui a favorisé, au fil des siècles, une diversité artistique et une exception culturelle dont nous sommes fiers. Face à l’arrivée des grandes plateformes et à l’essor de l’IA, ce cadre juridique a su évoluer, notamment grâce aux nouvelles règles européennes.
L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal législatif, acquis de haute lutte. Pourtant, certaines dispositions nécessitent des ajustements ou doivent être suivies avec la plus grande attention dans leur application. La directive « droit d’auteur » adoptée en 2019 a constitué une première avancée, bien que fragilisée par l’introduction d’une exception à des fins de recherche. Le règlement sur l’intelligence artificielle de 2024 représente une seconde étape mais doit aujourd’hui trouver une traduction concrète pour protéger les créateurs. Un principe fondamental doit guider cette régulation : la transparence. Sans elle, les créateurs ne peuvent savoir quelles données ont servi à l’entraînement des modèles d’IA et sont donc privés de toute possibilité de faire valoir leurs droits. Dans cette bataille, la France d’Emmanuel Macron a déçu en écartant temporairement le principe de transparence lors des négociations européennes, au profit des intérêts de certains groupes privés et au nom de la sacro-sainte compétitivité. Or, cette compétitivité ne peut s’exercer au détriment du respect des ayants droit, de la création et de l’exception culturelle.
Soyons clairs, sans rémunération juste et digne de nos artistes il ne peut y avoir de liberté de création ni de diversité culturelle. Nous devons garantir aux créateurs les moyens de vivre de leur art, condition essentielle à leur indépendance et à leur capacité d’innovation. Dans ce contexte, l’Union européenne doit s’affirmer comme une puissance culturelle capable de dompter les déstabilisations que pourraient susciter l’intelligence artificielle pour le monde créatif. La priorité doit d’abord aller à la préservation du droit d’auteur et à la rémunération des créateurs. À cette fin, les résumés des bases de données d’entraînement des modèles d’IA doivent être réellement détaillés, et le code de bonnes pratiques élaboré par le Bureau européen de l’IA doit inclure des licences d’utilisation des œuvres pour l’entraînement des algorithmes. De manière plus ambitieuse, il serait nécessaire d’inverser la charge de la preuve et d’obliger les fournisseurs d’IA à rémunérer les artistes sur la base des œuvres utilisées. En parallèle, l’innovation doit être au cœur de l’agenda européen : il est impératif de miser sur le développement d’acteurs européens de l’IA pour contrer la domination américaine et chinoise.
L’impact de l’IA dépasse la simple question de la protection des créateurs : il interroge l’avenir même de nos sociétés et de notre imaginaire collectif. Les grandes plateformes, qui contrôlent les modèles d’IA les plus puissants, exploitent déjà ces technologies pour concevoir des scénarios taillés sur mesure en fonction des préférences des consommateurs, grâce à l’analyse de leurs données personnelles. Leur objectif ? Maximiser la rentabilité en produisant des « contenus liquides », selon l’expression des représentants de Google Creativ, rencontrés par les sénateurs français Patrick Chaize, Corinne Narassiguin et Alexandre Sabatou.
Disposant du contrôle des modèles d’IA les plus importants, les grandes plateformes n’ont aucun état d’âme à utiliser par exemple l’IA pour construire des scénarios ajustés aux préférences du consommateur par l’analyse de toutes les données produites par les utilisateurs. Leur but ? Mettre au point des “contenus liquides” selon l’expression des représentants de Google Creativ, rencontrés par les sénateurs français Patrick Chaize, Corinne Narassiguin et Alexandre Sabatou. En d’autres termes, il s’agit de calibrer la production culturelle pour éliminer tout risque financier, au prix d’une standardisation extrême et de l’étouffement de l’innovation artistique. En bref, la mise à mort de la création artistique et de sa part innovante. La perspective terrifiante d’une société du spectacle par individualisation des contenus.
Ironie du sort, cette exploitation intensive des créateurs pourrait se retourner contre ceux qui en profitent aujourd’hui. L’IA générative repose sur le vol massif d’œuvres culturelles pour produire des contenus de qualité, mais ces modèles, s’ils ne sont plus nourris par de nouvelles créations humaines, risquent d’entrer dans une phase de dégénérescence en s’appuyant uniquement sur des données synthétiques. À force de recycler leurs propres productions, leur qualité se dégradera inévitablement.
La question des œuvres intégralement produites par l’IA et la préservation de la spécificité humaine de la création artistique doit également être remise au centre du débat public. Dès 2017, le Parlement européen avait montré la voie en proposant dans un rapport de fixer des critères de “création intellectuelle propre” applicables aux œuvres protégeables par le droit d’auteur mais pourtant créées par des ordinateurs ou des robots.
Les technologies développées ne sont jamais neutres : elles sont façonnées par des intérêts et des choix politiques. L’intelligence artificielle n’est pas forcément un ennemi pour les créateurs. Sera-t-elle le berceau de nouvelles voies créatives ou le cercueil de la création artistique ? Comme toujours, la réponse à cette question dépendra des donneurs d’ordre et de ceux qui les régulent.
Européens, ne soyons pas naïfs. Protégeons nos artistes et inspirons le monde en développant une intelligence artificielle éthique et responsable, au service de la diversité culturelle.


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