Corée du Sud : La modernité au masculin
NOTES DE BLOG
12/10/20256 min lire


NOTE DE BLOG - CORÉE DU SUD
Corée du Sud : La modernité au masculin
En octobre 2025, je me suis rendue à Séoul avec les députés de la commission FEMM du Parlement européen, dans le cadre d’une mission officielle à la rencontre de celles et de ceux qui luttent pour l’égalité entre les femmes et les hommes en Corée du Sud et en Corée du Nord. Notre objectif ? Analyser la racine des inégalités, les propositions que nous pourrions faire avec les parlementaires coréens, et discuter des liens entre l’UE et Séoul, dans un pays souvent cité en exemple pour sa réussite économique, mais encore profondément inégalitaire. Ce voyage a été percutant. Il a révélé un pays tiraillé entre modernité et conservatisme, où l’économie et la culture brillent partout à l’international et surtout en Europe, mais où la liberté des femmes et des minorités reste conditionnée par un patriarcat tenace.
Une société profondément patriarcale malgré sa modernité
Championne de l’innovation et du soft power, la Corée du Sud est la 11ème économie mondiale. Mais malgré cette économie florissante, une énorme ombre au tableau : les inégalités entre les femmes et les hommes sont immenses. À titre d’illustration, la Corée du Sud n’est qu’à la 101e place pour l’égalité de genre selon le Global Gender Gap Report 2025.
A Séoul, plusieurs défis ont marqué nos discussions : la lutte pour l’égalité salariale, la lutte contre la traite des femmes, la représentation des femmes en politique et, plus largement, la lutte contre les stéréotypes de genre.
Le pays affiche en effet le plus grand écart salarial de l’OCDE : les femmes y gagnent en moyenne 30% de moins que les hommes et moins de 8% des cadres dirigeants en entreprise sont des femmes. Dans le monde du travail, les femmes coréennes évoluent majoritairement dans une atmosphère sous pression. Au sein du géant Yim Min-gyung, entreprise sud-coréenne, une association féministe a notamment dénoncé qu’environ 50% des femmes qui tombent enceintes font des fausses couches en raison de conditions de
travail intolérables.
Dans la vie politique et institutionnelle, les femmes ne représentent que 20% des député.e.s à l’Assemblée nationale (c’est 38% au Parlement européen). Dans la haute administration et la diplomatie, cette proportion chute encore (moins de 15%).
Les inégalités se retrouvent aussi à d’autres échelles. Les standards de beauté imposés par une industrie cosmétique reconnue à l’international minent l’estime des femmes. La chirurgie esthétique devient une norme dans un pays où 78 % des offres d'emploi exigent une apparence soignée, et où les demandes de changements esthétiques - par la chirurgie - sont de plus en plus souvent demandés aux femmes dès l’entretien d’embauche.
Les violences faites aux femmes sont omniprésentes. Les taux de violence domestique et sexuelle sont parmi les plus élevés d’Asie. Le pays connaît également une augmentation de ces violences en ligne, avec notamment plus de 30 000 affaires de crimes sexuels liées à l’utilisation de caméras cachées recensées entre 2013 et 2018.
Des revendications fortes portées par la société civil
Les rencontres avec les associations et les actrices de la cause ont été essentielles. Nous avons rencontré KWAU, Minbyun, Amnesty International, qui se battent chaque jour contre les stéréotypes de genre mais surtout contre la traite des êtres humains et le proxénétisme qui en résulte. Dans un contexte parfois hostile, elles poursuivent leur travail avec courage et leurs actions montrent que le changement est possible, même lentement. Par leur mobilisation, elles constituent un véritable contre-pouvoir et rappellent que la résistance passe aussi par le quotidien, la solidarité et l’organisation collective. Entre la Chine et les USA de Trump, les mouvements féministes et les responsables publics que nous avons rencontrés en Corée du Sud se sentent isolés.
La fracture des sexes : l’exemple le plus frappant de la polarisation politique des genres est coréen
Nos échanges tout au long de ce séjour ont révélé les contours d’une société profondément patriarcale, traversée par une opposition politique dans les dynamiques de vote entre les femmes et les hommes.
En mai 2021, près de 75 % des hommes de moins de trente-cinq ans se déclaraient « repoussés par les féministes ou par le féminisme ». Un ressentiment dont le pouvoir politique s’est emparé : élu en 2022, l’ancien président Yoon Seok-yeol a sciemment surfé sur cette vague anti-féministe. Il a fait campagne en promettant de supprimer le ministère de l’Égalité des genres et de la Famille, de revenir sur l’objectif de 30 % de femmes au sein du cabinet présidentiel, et de remettre en cause les quotas dans la fonction publique. Bien que destitué, son héritage persiste dans le débat public et a laissé certaines traces. La Corée du Sud est le pays du monde où ce phénomène de “vote genré”, particulièrement chez les jeunes, est le plus fort. Alors qu’aux Etats-Unis ou en France, où le phénomène est relativement faible, on nous explique qu’il s’explique par une réaction aux avancées féministes, on ne peut que remarquer qu’en Corée, il explose sans avoir besoin de backlash à des politiques de réduction des inégalités.
Le système prostitutionnel demeure un angle mort des politiques publiques. Il est très développé et touche toutes les couches de la société : près de 6 % des hommes y ont déjà eu recours. Les lois actuelles pénalisent à la fois les victimes et les clients, sans s’attaquer aux causes structurelles de cette exploitation. Les associations féministes que nous avons rencontrées se mobilisent avec force et motivation, tous les jours, pour inverser cette logique. Ce système prostitutionnel repose aussi beaucoup sur la traite de femmes qui ont fui la Corée du Nord où la Chine, femmes qui sont à la mains des réseaux de passeurs ou qui - faute de protection sociale suffisante dans le pays d’accueil - sont exploitées par des proxénètes en Corée du Sud.
Derrière la polarisation des genres, une société à bout de souffle ?
Une interrogation m’a traversée tout au long de mon séjour. On nous dit, en Europe et aux Etats-Unis principalement, que le “backlash” anti-féministes serait dû aux trop nombreuses conquêtes en trop peu de temps. Que les féministes seraient allées “trop loin”. Comment alors expliquer, alors qu’en Corée-du-Sud les revendications féministes ressemblent à celles des associations féministes dans les années 60 et 70 (pouvoir travailler dignement, avoir accès à la contraception et à l’IVG), ce même phénomène soit visible ?
Je retiens de ces quelques jours et de ces discussions, qui pourraient paraître anecdotiques, que partout dans le monde où le capitalisme est à bout de souffle, partout où le travail impose des normes qui broient, la colère et la perte de repère est immense. La colère de nombreux jeunes hommes, qui s’est traduite par une véritable hostilité envers les femmes, comme une chasse aux sorcières, révèle aussi la fatigue face aux injonctions d’une société qui lie : performance, réussite économique, respect des traditions et mariage. Il devient urgent de créer de nouveaux modes de dialogue et des espaces d’échange pour favoriser la compréhension et la réflexion.
Partout, ils nous ont dit se sentir seuls, porteurs de combats essentiels mais peu soutenus par la communauté internationale. L’Europe, par son inertie, contribue à ce vide : il est temps qu’elle se réveille, qu’elle affirme son rôle pour défendre la démocratie et protéger les droits fondamentaux partout dans le monde. Soutenir les femmes et les minorités de genre, appuyer les associations locales et promouvoir l’égalité, dans un esprit universaliste. C’est à la fois un geste de solidarité internationale et une manière concrète de protéger la démocratie, la liberté et la justice partout dans le monde.
Aussi, on ne peut terminer ce propos sans rappeler qu’au cœur de ces inégalités et de ces tensions sociales, le capitalisme joue un rôle déterminant. Il renforce les rapports de domination, accroît la précarité et alimente les fractures entre les genres. Nous garderons cette réalité dans l’ensemble de nos combats à venir, et continuerons à agir pour que l’égalité devienne enfin le socle réel de nos sociétés
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